31 janvier 2025

Ah, la Belle Etoile !

 

 

(pour accompagner votre lecture)

J’ai encore flâné en marge des sentiers du maquettisme militaire - j’y reviendrai un jour ou l’autre - pour construire cette fois un bateau à voiles destiné à une personne de mon entourage qui se rêvait officier de Marine ou capitaine au long cours. J’ai déjà monté à son intention un chalutier et un remorqueur, ainsi qu’un thonier et un sinagot, mais c’était la première fois que je m’attaquais à un vieux gréement aussi complexe, en l’occurrence le clipper Belle Etoile de chez Heller au 1/250è.
 
Je le dis tout net, c’est une entreprise très ambitieuse pour qui est doté comme moi de gros doigts qui conviennent bien mieux aux rustiques blindés qu’aux délicates mâtures et aux écheveaux de cordages, en particulier à cette échelle où quasiment tout le travail s'effectue à la pince à épiler et sous loupe binoculaire. J’en suis venu à soupçonner que les modèles qu’on peut voir dans les musées et sur certains sites ou forums spécialisés ont été réalisés par des magiciens, des mutants ou des extraterrestres - j’en parlerai à Dana Scully.
 
Je n’ai pas trouvé trace du Belle Etoile dans la documentation que j’ai consultée, alors que les quatre-mâts barques, construits entre la fin du 19è siècle et le début du 20è, ont été relativement peu nombreux et opérés par un nombre restreint de compagnies maritimes et par conséquent presque tous répertoriés ; je suppose qu’il a été baptisé ainsi par Heller, en clin d’œil aux goélettes emblématiques de la Marine Nationale, les navires-école l’Etoile et La Belle-Poule (que la marque propose également).
 
Je serai porté à une certaine indulgence envers la maquette elle-même, eu égard à son âge vénérable : sa première commercialisation remonte à 1970 et sa conception s’en ressent, très éloignée des techniques de plasturgie actuelles. L’ajustage des pièces entre elles n'est pas toujours précis, y compris celui des demi-coques, par manque ou absence de picots de positionnement, mais rien qui ne se compense par un peu d'attention et de mastic ; des marques d’éjecteurs en creux ou en relief mal placées seront toutefois difficiles à faire disparaître. De plus, le plastique est curieusement à la fois mou et cassant, ce qui s’avère ennuyeux dès qu'il s‘agit de manipuler des mâts et des vergues très fines (cf. ma remarque sur les gros doigts), d’autant qu’elles présentent des joints de moulage assez disgracieux et parfois des décalages : les moules aussi accusent le poids des ans. Je m'interroge également sur le choix de représenter les francs-bords en planches, alors que d'après mes références, la coque de ces grands voiliers était entièrement en acier.
 
Plusieurs reboitages sont intervenus depuis la première édition, mais hormis l’évolution des box arts, la seule réelle innovation a été d’accompagner les grappes d’une notice repensée… en moins bien. En effet, le fascicule censé décrire le montage phase par phase s’est révélé vague, incomplet, voire trompeur, et dans l’ensemble peu pertinent. Comme quoi le packaging ne fait pas tout, de même que "nouveau" ne signifie pas forcément "mieux".

Ainsi, en suivant les illustrations, j’ai mal positionné les râteliers latéraux du grand mât, rendant hasardeux entre autres le placement des filins assurant le haubanage haut. J’ai réalisé cette erreur, alors qu'ils ne sont même pas censés être arrimés à cet endroit, quand il était trop tard pour revenir en arrière, et j’ai fini par les fixer sur les bossoirs des chaloupes ; si c'était à refaire, je procèderais tout autrement. Par ailleurs, indiquer qu’un fil va "de là à là" est insuffisant si aucun point de fixation n’est matérialisé, et qu’aucun conseil n’est donné pour le coller.

 

En outre, si les voiles étaient bien identifiées sur leur feuille de plastique thermoformé, le plan omettait d’indiquer l’emplacement de certaines (des triangulaires difficiles à distinguer entre elles) ; une copie de l’ancienne notice trouvée sur internet m'a heureusement renseigné sur ce point. L’antique feuillet double-face indique à peine plus que "à quoi ça doit ressembler à la fin", mais en définitive ce n'est pas plus mal, car il vaut mieux essayer de se débrouiller seul que suivre des indications fausses.

 

Enfin, l’ordre proposé du montage des cordages et de la voilure m’a paru illogique, puisqu’il prescrit de placer d’abord les haubans bâtards (ceux en forme d'échelle), puis les bras des vergues, puis les autres haubans - ce qui serait déjà délicat avec les bras déjà en place -, puis les étais et les drailles destinées à recevoir les voiles triangulaires centrales - ce qui implique de passer à travers tous les cordages précédents - et enfin les voiles elles-mêmes. Je suggère pour ma part de procéder à l’inverse, soit du centre vers les extérieurs. Quoi qu'il en soit, avec un plastique aussi souple, il s'agit de faire attention à ne pas trop tendre les cordages, sous peine d'en détendre d'autres ou de tordre les mâts théoriquement parfaitement alignés - ce que pour ma part je n'ai pu éviter totalement, d'autant qu'ils sont à peine "plantés" dans le pont.

 

Cerise sur le bateau, il est indiqué d’attacher le pavillon national sur une drisse latérale, partant de la corne de la brigantine (voile trapézoïdale arrière), alors qu’il doit réglementairement être positionné à l’arrière du navire, suivant son axe longitudinal. A cet égard, j'ai délaissé le décal inclus dans la boite, au profit du "vieux" drapeau thermoformé avec les voiles, un peu trop épais pour l'échelle mais plus réaliste ; ladite drisse, qui devait être plus fine que les autres, a été façonnée avec trois poils entortillés aimablement fournis par mon chien, dont ce n'est pas le moindre mérite.

 

La complexité d'une maquette de ce genre rend délicate la question de la peinture : avant ou après montage, sachant qu'il est difficile de coller une pièce déjà peinte ? La réponse pourrait être : au fur et à mesure, mais elle exige une vision claire des étapes à venir et ne résout pas celle de la colle à employer pour fixer les cordages. En l'occurrence, j'ai eu recours à la cyanoacrylate, mais il arrive qu'elle ne "tienne" pas et arrache la peinture. Autant dire qu'un certain nombre de reprises et de retouches ont été nécessaires, jusqu'au dernier moment.

 

Je n'ai pas utilisé les bobines du kit, de couleur trop claire, préférant acheter en mercerie des fils à coudre de différents diamètres et teintes, dont du gris presque noir pour fabriquer les haubans bâtards. A cette occasion, j'ai redécouvert la mythique "machine à hauban Heller" de ma jeunesse, qui a ses avantages et ses inconvénients, mais qui a le mérite d'exister ; ici également, la fée Cyano a été largement mise à contribution, pour coller et rigidifier les câbles. Enfin, au lieu d'un fil épais, j'ai opté pour une chainette pour retenir les ancres.







 

 

 




 

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 Concernant la peinture, voulant évoquer les couleurs du logo des Côtes-d'Armor, j'ai choisi un vert-bleu Prince August appliqué à la brosse plate pour la coque, ainsi que du bleu et du blanc passés avec des marqueurs acryliques AK, en m'aidant de bande-cache pour ne pas (trop) "baver". J'ai utilisé d'autres coloris de cette gamme pour le reste du bateau, dont les mâts, afin de tester ces produits encore nouveaux : ma conclusion est que ces feutres ont les défauts de leur qualité, en ce sens qu'ils déposent une pellicule de peinture quasiment aussi fine que celle obtenue avec un aérographe, et que de ce fait celle-ci est très sensible à l'abrasion, surtout si elle n'a pas été précédée d'un apprêt.
 
De plus, les teintes claires couvrent mal les plus foncées, mais cela peut s'avérer utile pour certains effets. Ils étaient donc là pour ainsi dire à contre-emploi, mais ils sont d'un grand confort d'utilisation et leur potentiel est grand pour d'autres usages, sur des surfaces réduites ; la pointe paraît néanmoins s'effilocher assez rapidement et ne convient pas à l'ultra-détaillage. Les pinceaux à un poil (ou davantage) et les pistolets pulvérisateurs ont donc encore quelques beaux jours devant eux.
 
Comme on n'oublie jamais totalement ses habitudes, pour le vieillissement je suis revenu aux méthodes de patine usuellement réservées aux véhicules militaires, à base de filtres et de jus de peintures à l'huile plus ou moins diluées au white-spirit. Le résultat ne correspond sans doute pas aux standards pratiqués dans le modélisme naval, mais donne au sujet un aspect "vieille maquette trouvée au grenier" que je recherchais.

 










Pour le présenter, je me suis inspiré d'ex-voto comme on peut en voir dans les églises de marins, en construisant une "boite vitrine" à l'aide d'un cadre de tableau de dimensions 26x36 cm muni d'une vitre traitée anti-reflet, le coffrage étant réalisé en carton à biseau, peint à l'extérieur et habillé à l'intérieur de papier d'ortie bleu-vert et gris pour figurer le mer et le ciel. Ce dispositif présente en outre l'intérêt de protéger le modèle de la poussière.

 

Pour stabiliser et assurer le navire sur son socle, j'ai fait passer à travers les supports deux tiges métalliques entrant dans la quille - délicat mais indispensable ; le socle a ensuite été collé sur le fond en carton à l'aide de résine UV. L'encadrement, encore un autre métier…

 



L'envers du décor

Le fond du décor

"On improvise, on s’adapte, on domine" pourrait être la devise de tout maquettiste, et ce projet m'a donné l’occasion de découvrir des tas de choses sur la marine à voile, son histoire et ses techniques. Il a aussi été une bonne leçon de patience et d'humilité, car en changeant de domaine on redevient un débutant : on dit qu'on apprend de ses erreurs, et avec cette maquette j'ai beaucoup appris, tout en enrichissant mon vocabulaire.

 

Ainsi, un ami navigateur chevronné m'a-t-il expliqué, trop tard là aussi pour apporter des modifications, qu’un réglage cohérent des voiles aurait supposé que les phares carrés soient tous pivotés vers la droite - autrement dit "brassés à bâbord" et "bordés à tribord" -, pour une remontée au vent petit largue bâbord amure. Cette disposition a aussi l'avantage d'être plus agréable à l'œil, c'est pourquoi j'ai un peu triché en présentant le bateau légèrement de trois-quarts avant dans sa vitrine. J'en tiendrai compte pour la prochaine fois, s'il y en a une, mais ça ne sera pas en-dessous du 1/150è et pas avant un certain temps, afin de reposer mes yeux et mes nerfs mis à rude épreuve. 

 

Une autre leçon, pourtant connue, est qu'on n'étudie jamais assez la documentation avant de se lancer, mais qu'il n'est pas toujours bon de suivre aveuglément les instructions (mais chut !).

 

Kenavo !

 

Pour aller plus loin :

 

Grands Voiliers Français 1880-1930, de Jean Randier

 

Les Grands Voiliers du XVe au XXe siècle, sous la direction de Joseph Jobé

 

Clippers français, de Claude et Jacqueline Briot


Wikipédia

Mâture et gréement

Voilure

Ex-Voto

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